Grossophobie médicale : «C’est une angoisse à chaque fois que je dois consulter» – Libération

Un physiothérapeute et des patients obèses dans une unité spéciale du CHU d’Angers, en octobre 2013. Photo Jean-Sébastien Evrard. AFP
Vous êtes gros ? C’est de votre faute, et tous vos problèmes découlent de cela. Voilà ce qu’entendent nombre de personnes en surpoids de la bouche des médecins, une attitude douloureuse psychologiquement et qui peut mener à des erreurs de diagnostic.
Grossophobie médicale : «C’est une angoisse à chaque fois que je dois consulter»

Mardi soir, un coup de gueule : «Tellement ras le cul d’aller voir un toubib au pif pour une bronchite et de repartir avec une lettre pour un chirurgien bariatrique. [spécialisé dans l’obésité, ndlr]»

Sur Twitter, la blogueuse Daria Marx exprime sa saturation face aux rendez-vous médicaux humiliants qu’elle subit du fait de son poids. Cette fois, la médecin lui fait un bleu en lui prenant la tension, ayant l’élégance de préciser «ah bah vous êtes trop grosse pour la machine», puis lui parle rapidement de méthodes pour maigrir parce que «c’est votre état général qui est inquiétant». A elle qui venait pour une bronchite. Et qu’importe que la jeune femme soit suivie par un cardiologue n’ayant rien décelé de problématique.

«C’est une angoisse à chaque fois que je dois consulter un nouveau médecin, parce que je sais qu’on va se focaliser sur mon poids», explique Daria Marx à Libération. Lors d’une consultation pour une angine, elle se voit rétorquer qu’elle va «crever jeune» à cause de son surpoids. Une autre fois, un gynécologue lui balance, sans l’ausculter, qu’elle n’aura jamais d’enfant car elle est trop grosse. «Ils sont persuadés qu’on a des problèmes de cholestérol, de foie. Ils sont surpris de ne rien trouver, raille-t-elle. Que vous ayez une cheville cassée ou un furoncle, ils s’en foutent. Pourtant, on peut se casser la jambe qu’on soit maigre ou gros.»

«J’ai senti de la haine contre les femmes rondes»

Sur Twitter toujours, la blogueuse a relayé des expériences d’autres femmes, qui viennent s’ajouter à celles que l’on peut notamment trouver sur Internet. Comme cette YouTubeuse qui venait de tomber enceinte après plusieurs fausses couches et partageait sa douloureuse expérience auprès d’une nouvelle gynécologue : la professionnelle, incapable de se réjouir pour elle, lui conseille notamment de faire un régime. Pendant sa grossesse. «J’ai senti de la haine contre moi, contre les femmes rondes, déplore-t-elle. C’est une joie pour une femme de voir son bébé dans le ventre [lors de l’échographie, ndlr] et moi je ne l’ai pas du tout vécu comme ça».

Matériel inadapté

«C’est une attitude de classe, lâche le médecin Martin Winckler. Beaucoup de médecins se considèrent comme étant au sommet de la pyramide sociale, donc ils se permettent d’intervenir de la manière qui leur convient.» C’est-à-dire à partir de ce qu’ils imaginent du patient (tous ses problèmes viennent de son poids, dont il est 100% responsable), et pas de ce qui est réellement. Or, assure le médecin, la priorité est d’écouter le patient, d’entendre les raisons de sa venue, et basta. S’il ne mentionne pas ses problèmes de poids, c’est qu’ils n’ont rien à faire dans cette consultation. «On est infantilisés, poursuit Daria Marx. On nous dit « il faut faire du sport et moins manger ». Sans déconner ! Je suis au courant que je suis grosse, mais il y a mille raisons.»

Ajoutons à cela le matériel médical souvent inadapté : brassards pour prendre la tension trop petits, lits d’hôpitaux ne supportant pas les personnes en surpoids, tables d’examen trop hautes… Jusqu’aux chaises trop étroites dans les salles d’attente.

Bien sûr, le surpoids peut provoquer des soucis de santé. «Il ne s’agit pas de nier les problèmes liés à l’obésité», précise Daria Marx. Mais, selon Martin Winckler, ils ne se révèlent que «dans certaines circonstances» et «ce ne sont jamais des risques immédiats. C’est quand même plus dangereux de conduire sans ceinture !» Et puis, le patient sait qu’il est obèse. Sa famille, ses amis, ses collègues, tout le monde prend souvent bien soin de le lui rappeler. De quoi lui ajouter de l’anxiété, or la prise de poids «est majorée par l’angoisse. Moi quand je suis anxieux, je mange, illustre Martin Winckler. Le rôle du médecin est d’abord de rassurer les gens. Quand on va voir le médecin, on va voir quelqu’un à qui on voue une confiance extrêmement grande, donc quand il vous manifeste son mépris, c’est doublement brutal.»

Erreurs de diagnostic

Au-delà des conséquences psychologiques, cette grossophobie médicale peut avoir des répercussions en termes de soins. Chez une femme de poids moyen ayant des problèmes de fatigue, on cherchera une hypothyroïdie. Chez une femme obèse, on parlera de paresse, et circulez. Chez une femme en surpoids, on ne pensera pas à une probabilité de grossesse. Ou on évoquera un avortement… «Ça nous rend hyper rétifs à aller consulter. Les gens laissent les pathologies s’aggraver, poursuit Daria Marx. La focalisation sur le poids évite de poser des diagnostics. Il y a une médecine qui ne se fait pas.» Elle-même n’essaye même plus de consulter pour des problèmes de dos.

Et opte pour SOS Médecins quand elle a un souci et que sa médecin traitante n’est pas disponible : «Ils n’ont pas le temps de chercher plus loin, ils s’occupent de votre angine et ils repartent.»

Elsa Maudet

Source : Grossophobie médicale : «C’est une angoisse à chaque fois que je dois consulter» – Libération

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